À première vue, la production d'un rhum varie peu selon la région. Les étapes sont plus ou moins les mêmes pour les distilleries de rhums, et pourtant, lorsqu'on regarde de plus près, il existe beaucoup de variations dans la méthode de production qui influent sur les arômes du rhum.
Dans cet article, nous passerons en détail chaque étape nécessaire à la fabrication d'un rhum.
Trois ingrédients essentiels
En dehors de ses aspects techniques et technologiques, l’élaboration du rhum s’articule autour de trois matières naturelles qui participent à ses caractéristiques organoleptiques : l’eau, la canne à sucre et les levures qui génèrent l’alcool et les arômes issus de la fermentation.
L’eau
La localisation d’une distillerie, lors de sa fondation, est d'abord dictée par l’exploitation possible d’une source d’eau pérenne, avec un objectif : avoir l’eau la plus pure, soit par filtration naturelle (sources) soit par osmose ou mécanique (cours d’eau et lacs).
De l’eau en abondance tout au long de l’année est l’un des facteurs clés de la production du rhum, tant cette ressource est essentielle.
La qualité de cette eau influe sur cinq étapes du processus de production :
- l’irrigation des champs de canne à sucre;
- l’imbibition du broyat sur la chaîne d’extraction du jus;
- la composition des moûts à base de jus de canne, de mélasse ou de sirop;
- le refroidissement des moulins, chaudières et condensateurs;
- la dilution avant embouteillage.
La canne à sucre
Si le rhum doit obligatoirement provenir de la canne à sucre, une plante à la forme de grandes tiges, les distilleries peuvent la traiter sous plusieurs formes. Qu’elle soit sous forme de jus frais ou de ses dérivés, le profil du rhum sera drastiquement différent.
Le vesou
Le vesou est le jus de canne à sucre, ou moût, frais extrait après broyage de la canne à sucre dans un moulin.
Il s’agit de la matière première exclusive du rhum agricole. Fragile, il nécessite une mise en fermentation quasi immédiate.
Après la production du vesou, il reste la bagasse, le résidu fibreux de la canne à sucre.
Les rhums produits à partir de vesou seront plus proches du goût végétal et herbacé de la canne originelle.
Récolte de la canne un sucre en Martinique (©Neisson)
Le sirop de batterie
Le sirop de batterie est un concentré de jus de canne (vesou cuit obtenu par évaporation partielle de son eau). Le fait de le concentrer permet de le conserver plus longtemps. La cuisson apporte aussi des arômes plus toastés semblables à ceux de la mélasse, sans complètement perdre le caractère végétal de la canne.
Il emprunte son nom à la cinquième et dernière chaudière utilisée dans le processus de fabrication du sucre. On l’appelle également miel de canne.
La mélasse
La mélasse est le résidu sirupeux et incristallisable issu de l’extraction du sucre de la canne. On la recueille lors de la fabrication et du raffinage du sucre dans les raffineries, car bien que les cristaux de sucre ne peuvent plus en être extraits, la mélasse contient encore des sucres qui peuvent être fermentés et distillés pour produire du rhum.
Ce sous-produit visqueux de la production sucrière est traditionnellement la principale matière première de l’industrie rhumière. Il produit des rhums aux arômes plus ronds et toastés que le jus de canne frais.
Les levures
Les levures sont un type de champignon unicellulaire qui joue un rôle crucial durant l’étape de la fermentation. Ces levures vont transformer les sucres fermentescibles du moût en alcool et en dioxyde de carbone.
Le rhum leur doit une part significative de ses spécificités aromatiques qui varient selon la souche utilisée.
On distingue deux types de levure :
- Les levures naturelles, présentes dans l'environnement et qui effectuent une fermentation qu’on dit “spontanée”. Ce sont elles qui forment le plus de congénères aromatiques, mais leur utilisation est aléatoire et elles sont sensibles aux variations climatiques ainsi qu’à l’environnement microbien;
- les levures de culture, qui sont issues de souches sélectionnées en fonction notamment de leur capacité à diminuer les temps de fermentation et à répondre aux besoins des moûts de haute densité. Les variétés de levure de culture ainsi que leur proportion sont décidées pour chaque fermentation, car elles définissent le rendement alcoolique et les marqueurs aromatiques.
L’action des bactéries
À l’action des levures s’ajoute celle des bactéries qui, selon les composés secondaires que les levures produisent, seront elles-mêmes productrices de congénères.
Il faut préciser en effet que la flore bactérienne présente à la surface des tiges de canne à sucre se retrouve dans les jus.
Pour les rhums lourds aux concentrations les plus importantes de congénères, comme c’est le cas pour certains rhums jamaïcains, les dunders (mélange de vinasse et d’éléments organiques) ultra-acides sont ajoutés au moût.
Ils agissent comme des accélérateurs de production d’esters, ces congénères aromatiques qui donnent par exemple le goût intense de banane ou d’ananas au rhum.
La création du rhum en cinq étapes
Aujourd’hui, les étapes du processus d’élaboration du rhum sont les mêmes dans toutes les distilleries. Néanmoins, sous leur apparente simplicité, se cachent des techniques et un savoir-faire complexe.
Étape 1 : L’extraction
Les distilleries de rhum utilisent la canne à sucre dans ses différents extraits : jus, mélasse ou sirop.
Avant l’extraction, la canne à sucre est soigneusement sélectionnée en fonction de sa maturité et de sa teneur en sucre et peut également subir un prétraitement (lavage ou le découpage) pour éliminer les impuretés et optimiser l’extraction du jus.
Généralement, la mélasse ou le sirop sont récupérés dans les unités sucrières où l’on procède à la concentration du jus de canne par évaporation (pour le sirop de batterie) ou à l’obtention de la mélasse après extraction des cristaux de sucre.
C’est cette mélasse, ainsi que ce sirop de batterie, qui sont mélangés à de l’eau dans une cuve dans laquelle seront ajoutées les levures pour lancer la fermentation.
Dans le cas où une distillerie produit du rhum à partir de vesou, elle procède elle-même à l’extraction du jus de canne au moyen d’un ou plusieurs moulins de broyage.
Pour extraire le maximum de jus, la canne est écrasée dans un ou plusieurs broyeurs doubles ou à multicylindres.
Au cours de cette opération, elle est imbibée une ou plusieurs fois d'eau pour la diluer légèrement afin d’optimiser l’extraction du sucre. Le vesou, ou moût, obtenu en fin d’extraction est une dilution du suc de la tige.
La filtration retire ce que l’on appelle la bagasse (fibres restantes de la canne à sucre) qui est souvent utilisée comme combustible pour alimenter les chaudières de la distillerie.
Étape 2 : La fermentation
Après l’étape d’extraction, les moûts à base de mélasse, de sirop ou de pur jus de canne sont à nouveau dilués avec de l’eau dans des cuves ouvertes ou fermées, en bois ou en inox.
On ensemence ensuite ces liquides sucrés avec des levures qui transforment le sucre en alcool et en gaz carbonique. Cette fermentation peut durer de quelques jours à plusieurs semaines, selon le profil aromatique désiré.
Cette fermentation est une étape décisive pour la création de l’alcool (l’éthanol) et des congénères aromatiques (acides gras et esters, aldéhydes, acétals, cétones, ainsi que tous les autres composés phénoliques).
Ce sont ces derniers qui vont composer le profil aromatique du distillat de spiritueux de canne à sucre. Il est essentiel de contrôler la température et le pH pendant cette phase pour optimiser l’activité des levures et la qualité du rhum produit.
La méthode de fermentation la plus fréquente étant celle de l’ensemencement des cuves de fermentation par des levures de culture, elle peut aussi se faire spontanément en milieu naturel, même si cela reste une pratique très rare, limitée à une poignée de distilleries comme Hampden ou Rivers, ou à des petites distilleries artisanales haïtiennes produisant du Clairin par exemple.
Dans ce cas, le distillat sera en contact direct avec les levures endémiques ou indigènes que l’on retrouve en milieu naturel. L’inconvénient de cette méthode de fermentation est qu’elle est aléatoire, consommatrice de temps et avec un rendement volumétrique moindre.
Pour soutenir la croissance des levures, des nutriments tels que des sels d'ammonium ou des vitamines sont souvent ajoutés, particulièrement dans des moûts très raffinés.
Le type de cuve utilisé peut également influencer le processus : les cuves en bois abritent généralement une variété de micro-organismes (y compris des bactéries) qui enrichissent le profil aromatique du distillat, contrairement aux cuves en inox qui sont plus neutres.
De plus, les techniques comme le refroidissement ou l'ajout d'agents inhibiteurs peuvent être employées pour arrêter la fermentation à un moment précis, afin de préserver les caractéristiques souhaitées du rhum.
Etape 3 : La Distillation
Le but de la distillation dans la fabrication du rhum est double : d'une part, concentrer le niveau d'alcool du jus de canne ou de mélasse fermenté, et d'autre part, extraire certains composés aromatiques spécifiques.
Le processus commence par le chauffage du liquide dans un alambic, qui peut être de trois types principaux : l'alambic à colonne pour une distillation continue et efficace, le pot still pour une distillation discontinue qui favorise un profil aromatique riche, ou un alambic hybride qui combine les avantages des deux premiers.
À mesure que la température augmente, le liquide commence à s'évaporer. Les substances volatiles s'évaporent à différentes températures en fonction de leur point d'ébullition. L’éthanol, par exemple, s'évapore à 78,4 °C tandis que l'eau s'évapore à 100 °C. Cette différence de température est cruciale pour séparer efficacement les différents composants.
Alambic à colonne pour distiller le rhum (©Neisson)
Les vapeurs plus concentrées en substances les plus volatiles, dont l’éthanol, montent alors dans l'appareil de distillation et passent dans un condensateur. Ce dernier refroidit les vapeurs, qui se transforment à nouveau en liquide. Cette étape est essentielle pour capturer l'alcool et les composés aromatiques désirés tout en laissant derrière les moins volatils.
Dans le cas de la distillation en pot still, le savoir-faire du distillateur se manifeste particulièrement dans la gestion des coupes. Les "coupes" sont les moments où le distillateur décide quels segments du distillat conserver. Ces segments sont généralement divisés en "têtes", "cœur" et "queues".
Le cœur, contenant la majorité des alcools et des arômes de qualité, est retenu, tandis que les têtes et les queues, qui peuvent contenir des composés moins désirables, sont souvent redistillées ou écartées.
Étape 4 : L’élevage en fûts
A la différence du whisky, le rhum peut être embouteillé sans avoir vieilli en fûts. Les rhums blancs peuvent être aromatiques et complexes à déguster purs, notamment pour les rhums agricoles, ou destinés à la création de cocktails avec plus ou moins de caractère.
Pour les rhums bruns, l'élevage est l’étape durant laquelle l’eau-de-vie de rhum est vieillie en fût. Pendant cette période, qui peut durer des mois à de nombreuses années, elle perd peu à peu de son volume par évaporation naturelle : c’est ce que l’on appelle “la part des anges”.
La température, le taux d’humidité, les amplitudes thermiques, la pression atmosphérique, et la qualité de l'air ont une incidence considérable sur le taux d’évaporation et la nature de ce qui s’évapore. C’est pourquoi un rhum vieilli dans le climat tropical des Antilles sera plus marqué par son élevage que le même vieilli en climat continental européen par exemple.
Les types de fûts utilisés sont également déterminants. Les fûts peuvent être neufs ou déjà utilisés pour d'autres spiritueux (comme le bourbon, le sherry ou le cognac), ce qui ajoute des dimensions aromatiques supplémentaires au rhum grâce aux arômes transmis de ces précédentes utilisations.
L’origine du bois pour la fabrication des fûts, généralement du chêne, tout comme sa taille des fûts jouent un rôle sur l'élaboration du produit fini.
Étape 5 : L’assemblage
Dernière étape dans l’élaboration d’un rhum, l’assemblage consiste en une sélection et un mélange dans de justes proportions de fûts de rhums d’âges identiques ou différents.
Si l’assemblage est opéré à partir d’un nombre restreint de fûts soigneusement sélectionnés, on les désigne sous le nom de small batch. Ce processus permet de créer un produit final homogène et de haute qualité, reflétant un style spécifique de la distillerie.
Dans ce cas, c’est l’âge du plus jeune rhum entrant dans l’assemblage qui doit être retenu sur l’étiquette de la bouteille, même s’il ne représente qu’une infime proportion. Cette règle, appelée règle de l'âge minimal, assure la transparence et l'intégrité dans la présentation du rhum aux consommateurs.
Toutefois, ce principe n’est pas toujours appliqué, comme c’est le cas pour la méthode solera, que l’on retrouve dans les pays latino-américains.
La méthode solera de vieillissement par assemblage perpétuel est la méthode traditionnelle d’élevage des vins de xérès. Elle implique une succession de fûts disposés en rangées superposées, chacun composé de rhums d’un âge moyen similaire.
Une petite proportion du rhum est soutirée de la rangée comprenant les jus les plus anciens (en bas de la pile), avant d’être complétée par du rhum plus jeune venant de la rangée immédiatement supérieure, et ainsi de suite jusqu’à la rangée comprenant les jus les plus récents (en haut).
De cette méthode, on ne peut connaître l’âge précis que de l'eau-de-vie soutirée de la rangée du haut. Les comptes d’âge indiqués sur les étiquettes sont généralement bien plus élevés qu'ils ne le sont en réalité.
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