Qu'elle s'écoule sur du granit, du calcaire ou du quartz ; qu'elle provienne de rivières tumultueuses, de lochs aux profondeurs tapissées de tourbe ou de sources cristallines ; qu'elle soit acide, chargée en sels ou en fer, l'existence d'une réserve naturelle d'eau pure et abondante a de tout temps conditionné l'implantation des distilleries.
Toutes ne jurent que par la qualité de leur eau et revendiquent l'influence de celle-ci sur les arômes de leur whisky.
La nature de l'eau
C'est sous forme de pluie et de neige que l'eau fait sa première apparition. Si elle tombe sur des roches cristallines, l'eau s'écoulera rapidement et n'entrera pas en contact avec les couches souterraines. Peu chargée en éléments minéraux, elle conserve alors sa douceur ainsi qu'une légère acidité. Cette qualité d'eau est la plus répandue en Ecosse.
En contact avec un sol plus perméable ou une roche sédimentaire (calcaire, grès), l'eau pénètre le sous-sol et se charge en minéraux, carbonates et sulfates. Elle devient alors alcaline et dure. La célèbre distillerie Glenmorangie, située dans le nord des Highlands, est l'une des seules à disposer d'une telle source d'eau.
Pour de nombreux distillateurs, une eau douce qui s'écoule sur du granit à travers de la tourbe constitue la meilleure eau de production. Sur la petite centaine de distilleries encore en activité, moins de vingt possèdent une source d'eau présentant de telles propriétés, notamment Balblair, située à moins de quatre kilomètres de Glenmorangie.
Le brassage dans le whisky
L'eau intervient à plusieurs stades de l'élaboration : au cours du maltage, l'orge est humidifiée afin de germer ; lors de la distillation, l'eau froide des condenseurs fait passer les vapeurs d'alcool à l'état liquide ; enfin, l'eau intervient au moment de la dilution du whisky qui précède la mise en bouteilles.
Mais c'est avant tout l'élément principal que l'on incorpore au moment du brassage. Le malt broyé (grist), mélangé à de l'eau chaude, est brassé afin d'en extraire l'amidon soluble. Ce mélange contient en général une part de grist pour quatre parts d'eau. Le brassage s'effectue dans une cuve généralement fermée, en acier ou en fonte, appelée mash tun, équipée de pales tournantes et d'un fond en acier perforé.
Trois eaux successives sont nécessaires afin d'extraire les sucres contenus dans le malt. La première eau, qui correspond à la troisième eau du brassage précédent, est chauffée entre 60°C et 65°C.
Au-delà de cette température, la diastase, l'enzyme du malt qui permet de transformer l'amidon en sucres (maltose, dextrine), meurt. Cette substance est essentielle au développement de la palette aromatique des whiskies et notamment des esters à l'origine des arômes fruités et floraux.
Le liquide ainsi obtenu, un moût sucré, appelé wort, s'écouleà travers le mash tun puis est stocké dans une cuve intermédiaire, l'underback. Une deuxième eau, chauffée entre 70°C et 75°C, permet d'extraire les sucres restant dans le malt. Le moût sucré qui en résulte rejoint l'underback. Enfin, une troisième eau d'extraction appelée sparge, chauffée entre 80°C et 85°C, servira au brassage suivant. Le résidu du grist, la drêche (draff), riche en protéines, est destiné au bétail.
Les saveurs de l'eau
Des quatre éléments nécessaires à la production du whisky, l'eau est celui dont l'impact sur les arômes est sans doute le plus difficile à mesurer.
En revanche, les saveurs de l'eau se retrouvent généralement dans le caractère du whisky. La classification schématique des single malts en fonction de leur région d'origine, Lowlands, Highlands, Speyside et Islay, repose, en partie, sur une réalité d'ordre géologique dont l'eau est le principal vecteur.
Sur l'île d'Islay, chaque distillerie possède sa propre source. Bunnahabhain utilise une eau fraîche et limpide qu'elle tire de sources profondes. Pour Bowmore, cette eau si précieuse suit les flots vigoureux de la rivière Laggan en se parant d'une teinte légère. Ardbeg, Caol Ila, Lagavulin et Laphroaig exploitent l'eau de lochs profonds et riches en tourbe. Quant à Bruichladdich, son eau douce et présentant de fines traces de tourbe, s'écoule sur du quartz datant de 9 millions d'années.
Dans le Speyside, l'eau, similaire en termes de texture, se révèle à la fois plus claire et plus fraîche. Cette région qui abrite les distilleries les plus réputées repose sur une formation rocheuse essentiellement composée de quartz et de granit. A la fonte des neiges, l'eau traverse un sol fertile recouvert de forêts de conifères (pins, sapins).
Ainsi chez Macallan ou Glenlivet, l'eau véhicule des notes d'aiguille de pin, de mousse et de bois de bouleau.
Du nord au sud et d'est en ouest, l'eau des Highlands se caractérise par une très grande diversité. Au nord-est, la distillerie Glenmorangie utilise une eau qui s'écoule sur des roches poreuses composées de calcaire et de grès.
Cette eau dure, sans aucune trace de tourbe, est saturée d'arômes de résine et d'épices (poivre) que l'on retrouve également chez Ben Nevis, Dalmore et Glen Garioch. Dans le sud des Highlands, l'eau s'écoule sur des roches calcaires ou de grès gris, traversant des collines recouvertes de fougères, de bruyères mais aussi de tourbières. Cette eau donne naissance à des whiskies frais, vifs, épicés et très légèrement tourbés comme Aberfeldy, Blair Athol ou Edradour.
Issue à l'origine d'un sous-sol composé de grès, de roches volcaniques et de gisements de houille, l'eau utilisée par les distilleries des Lowlands provient désormais de réservoirs naturels situés dans les collines avoisinantes.
Cette eau, appréciée pour sa pureté, sa douceur et sa fraîcheur, est subtilement marquée par des senteurs de primevère, de bouton d'or, de fougère et de verdure. On retrouve toutes ces caractéristiques dans les single malts des distilleries Auchentoshan, Bladnoch et Glenkinchie ainsi que dans les whiskies produits sur l'île d'Arran et dans la région de Campbeltown.
L'eau : une ressource inestimable pour l'élaboration du whisky
Si l'eau est à l'origine de seulement 5% de la palette aromatique d'un whisky, elle n'en demeure pas moins une ressource précieuse. Les distilleries, soumises aux caprices des saisons, ont appris à respecter le cycle naturel de l'eau.
Chaque année, afin de prévenir un tarissement trop important de leur source, elles observent une période dite « sèche » au cours de laquelle la production est interrompue. Il n'est donc pas surprenant que chaque distillerie protège farouchement l'approvisionnement et la qualité d'une ressource à la fois si fragile et aléatoire.
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