LE GUIDE DU RHUM
ORIGINE
Qu’on l’appelle rhum (pour le rhum français), rum (anglais) ou bien ron (espagnol), cette eau-de-vie de canne à sucre reste le dénominateur commun des îles des Caraïbes et des pays d’Amérique du Sud, empreints chacun d’une culture et de traditions pourtant bien distinctes.
LE RHUM, ENTRE LÉGENDE ET RÉALITÉ
Découvert à la faveur des conquêtes coloniales espagnoles, françaises et anglaises, le rhum était à l’origine la boisson des esclaves et des marins. Utilisé comme appât par les pirates pour enivrer les mousses de la Marine anglaise (à des fins de recrutement !), il est aujourd’hui encore lié à ce passé d’aventures et de tumultes. Qu’on l’appelle rhum (pour le rhum français), rum (anglais) ou bien ron (espagnol), cette eau-de-vie de canne à sucre reste le dénominateur commun des îles des Caraïbes et des pays d’Amérique du Sud, empreints chacun d’une culture et de traditions pourtant bien distinctes. Au milieu des années 2000, plus de cent pays cultivent la canne à sucre, au premier rang desquels le Brésil, l’Inde et la Chine figurent. La canne à sucre produite fournissait alors près de 75 % de la production mondiale de sucre (source ACER – nov. 2005). Selon son type de distillation et selon son vieillissement, le rhum affiche une diversité de profils aromatiques qui le placent en tête d’affiche de la carte des spiritueux.
LA CONQUÊTE EUROPÉENNE DE L’OR BLANC
Découvert en Asie et rapporté en Europe par les pèlerins dès la première croisade (1096-1099), le sucre est alors une denrée rare très appréciée de tous. Peu à peu, il devient un véritable enjeu économique, source de rivalités entre pays européens. Dès le 14e siècle, Venise s’octroie le monopole commercial de cet or brun et développe les premières formes du raffinage. Envieux de la réussite des italiens et souhaitant s’affranchir de leur mainmise sur le sucre, les Portugais et les Espagnols installent des plantations et des raffineries dans leurs colonies : Madère, les îles Canaries, puis les Acores. Lisbonne devient rapidement un centre important de raffinage. La découverte de l’Amérique va permettre d’étendre davantage encore la production de canne à sucre, sous l’égide des Portugais, excellents navigateurs. Si le Brésil, le Pérou et le Mexique font l’objet de toutes les convoitises en raison de leurs richesses naturelles (bois, or, minerais), les Caraïbes deviennent rapidement des îles sucrières. À la fin du 15e siècle, Christophe Colomb introduit ainsi la canne à sucre aux Antilles. Ses premiers essais de plantation auraient semble-t-il été tentés sur l'île d'Hispaniola (Haïti et Saint Domingue). Puis en 1512, les Espagnols mènent une campagne agressive de plantation de canne à sucre à Cuba, qui comptera quelques décennies plus tard plus de 250 familles espagnoles. Dès 1520, la canne à sucre s’étend partout en Amérique du Sud : Mexique, Pérou, Brésil, ... Maîtres du jeu jusqu’en 1630, les espagnols se désintéressent ensuite peu à peu du sucre au profit de l’or et du bois, laissant les Français et les Anglais prendre le relais aux Antilles : Barbade, Jamaïque, Martinique, Guadeloupe.
DÉFINITION
Produit à travers le monde, le rhum est une eau-de-vie de canne à sucre obtenue par fermentation alcoolique, puis par distillation, soit des mélasses ou des sirops provenant de la fabrication du sucre de canne, soit de jus de canne directement. S’il ne bénéficie pas d’un cadre légal strict, certains pays (dont la France) se sont cependant dotés de règles visant à protéger leur rhum.
LE RHUM, ÉTAPE PAR ÉTAPE
Etape 1 – Jus de canne ou mélasse
En règle générale, on distingue les rhums issus de la distillation de jus de canne (vesou) de ceux provenant de la mélasse. Obtenu à partir du broyage de la canne à sucre, le jus de canne s’altère très vite : il doit être mis très rapidement à fermenter, puis à distiller, pour produire le rhum agricole. Résidu du raffinage du sucre de canne, la mélasse est un sirop épais et visqueux qui peut entrer dans la composition de desserts et friandises, mais est aussi utilisée pour l’élaboration de nombreux rhums. La canne à sucre (« Saccharum officinarum ») pousse en zone équatoriale en région tropicale. On la trouve en Floride, au Texas, en Louisiane, aux Antilles, à Hawaï, en Amérique Centrale et en Amérique du Sud, mais aussi en Indonésie, en Thaïlande, aux Philippines, en Chine, en Inde, dans les îles de l’Océan Indien, en Australie, ainsi qu’au sud de l’Espagne. Il en existe de nombreuses variétés plus ou moins résistantes aux maladies et avec des teneurs en sucre variables. La canne est composée d’eau, de fibres et de saccharose. C’est à la base de la canne que le saccharose se concentre. Âgée de 11 mois, la canne est récoltée avant sa floraison, de façon manuelle ou mécanique. Les feuilles et le sommet des cannes sont abandonnés dans les champs. Seule la base est transférée rapidement à la sucrerie, pour éviter toute perte de sucre. Une fois la base de la canne réduite en fibres, on lui ajoute de l’eau chaude afin d’en extraire le jus sucré. De ce pressage naissent deux produits : le jus de canne pour la production de rhum et la bagasse, composée des résidus fibreux de la canne et utilisée ensuite comme combustible. Dans le cas de rhum de mélasse, le jus de canne (vesou) est appauvri en sucre par extraction, puis transformé en mélasse.
Etape 2 – Le vin de canne et la fermentation
Sous l’action des levures, le moût (mélasse diluée avec de l’eau ou le vesou) est mis à fermenter et se transforme progressivement en alcool, jusqu’à produire un vin de canne titrant 8% à 10% d’alcool en moyenne. Étape fondamentale dans la production des arômes du futur rhum, la fermentation du vin de canne peut revêtir différents visages selon la région du monde dans laquelle elle est réalisée, pour aboutir à un panel aromatique très varié. On distingue trois types de fermentation : La fermentation spontanée Elle dépend des levures et micro-organismes ambiants présents dans l’atmosphère ou naturellement présents dans le jus de canne. Cette fermentation est réalisée dans des cuves à ciel ouvert et peut durer entre 1 et 2 semaines. Les petites distilleries, notamment celles d’Haïti, pratiquent encore la fermentation spontanée. La fermentation contrôlée (en batch) Le plus souvent effectuée en ‘batch’, cette fermentation fait appel à des levures cultivées en laboratoire puis mises en contact avec le liquide sucré. Certaines distilleries entretiennent et cultivent leurs propres souches, qu’elles protègent comme une marque de fabrique. Ce type de fermentation s’étale sur 2 à 3 jours et permet de reproduire de façon constante une concentration alcoolique et un panel d’arômes. La fermentation contrôlée (en continu) Cette tendance se développe dans l’industrie du rhum. Il s’agit de garder une cuve de fermentation pleine en permanence, en l’alimentant de mélasse. Cela permet de garder les levures actives, en soustrayant en différents point une quantité de moût dont les sucres ont déjà été digérés par les levures.
Etape 3 – Le choix de l'alambic
À l’instar de nombreux autres alcools, la distillation du rhum peut être réalisée au moyen d’un alambic à colonne, en continu ou bien à repasse (pour les producteurs les plus traditionnels). La pratique de l’une ou de l’autre forme de distillation est souvent influencée par l’histoire coloniale du pays. Ainsi, les anciennes colonies britanniques et françaises utilisent encore des alambics à repasse en cuivre, tandis que les anciennes possessions espagnoles recourent principalement à l’alambic à colonne. Le type de rhum produit dépend beaucoup du mode de distillation : de façon schématique, les rhums les plus lourds sont souvent issus d’alambics à repasse (en raison d’un distillat dont le cœur est recueilli entre 68 et 70%) et les rhums les plus légers d’alambics à colonne (le distillat recueilli à plus de 90%, laissant peu de place aux volatiles les plus chargés). Distillation à repasse - batch : cette technique de distillation dite de ‘batch’ nécessite d’interrompre régulièrement l’alambic pour le nettoyer et le laisser reposer, avant de charger la nouvelle session prête à être distillée. C’est le mode de distillation le plus traditionnel. Distillation à colonne - en continu : souvent équipé de deux ou quatre colonnes qui s’autoalimentent, ce type de distillation ne nécessite aucune interruption dès lors que les colonnes sont alimentées. Composées de différents plateaux de concentration au travers desquels les vapeurs circulent, cette technique permet de contrôler et d’orienter le profil aromatique d’un rhum. Ainsi, les vapeurs les moins chargées en arômes sont celles qui atteignent le dernier plateau de la colonne. Les plus lourdes restent dans les plateaux inférieurs.
Etape 4 – Le vieillissement
Faute de cadre légal, le vieillissement du rhum et les appellations attachées à ce vieillissement diffèrent d’un producteur à l’autre. Si le vieillissement s’effectue principalement en ex-fûts de bourbon, il arrive qu’il soit réalisé à partir d’ex-fûts de cognac et de fûts de chêne neufs. Les affinages, plutôt rares, sont surtout le fait de négociants italiens ou français, qui le proposent en fûts de banyul, de porto, de xérès ou de madère. Si aucune période minimale n’est imposée, peu de rhums affichent plus de 8 ou 12 ans d’âge. Elevées sur leurs lieux de production, les barriques sont soumises à des conditions climatiques extrêmes, causes d’une évaporation considérable. La question de l’évaporation : les conditions de vieillissement dans les Caraïbes, sous un climat tropical, sont particulières. Le chêne étant perméable aux molécules d’alcool qui sont elles-mêmes hydrophiles, la conjugaison d’une température élevée et d’une hygrométrie importante provoque une évaporation conséquente et une maturation plus rapide. Vieillir sous un climat tropical, c’est accepter de perdre annuellement entre 6 et 8% du contenu d’un fût, contre 2% sous un climat tempéré comme celui de l’Écosse ou de l’Irlande. Ainsi, ne restent que 65% du contenu initial d’un fût au bout de 5 ans de maturation, environ 45% au bout de 10 ans, et 30% au bout de 15 ans. En Écosse, il faudrait attendre 55 ans de vieillissement pour obtenir un tel taux. Mais si l’évaporation est importante, l’accélération du processus de vieillissement sous ces climats tropicaux est réelle. Deux années de vieillissement dans les Caraïbes équivalent à 6 à 8 années en Écosse. Plusieurs solutions ont été envisagées pour enrayer ce problème d’évaporation, notamment celle consistant à transférer les barriques de rhum en Europe pour leur vieillissement, sans que l’appellation n’en soit affectée. Deux courants s’opposent : les partisans du vieillissement dans le pays d’origine et les partisans du vieillissement en Europe qui souhaitent profiter d’un processus d’estérification et d’oxydation plus lent.
LES PRINCIPAUX STYLES DE RHUM PAR RÉGION
Si le rhum peut être produit partout dans le monde, celui qui est le plus réputé provient des Caraïbes et d’Amérique du Sud. Marquées par leur histoire, les Caraïbes produisent trois grands types de rhum d’influence coloniale : hispanique, britannique et française. Une influence qui se retrouve dans les noms donnés aux rhums et qui permet d’appréhender trois typicités. Les rones Produits à Cuba, au Guatemala, au Panama, en République Dominicaine, au Nicaragua, à Puerto Rico, en Colombie et au Venezuela, ces rhums de tradition hispanique, élaborés à partir de mélasse et distillés dans des alambics à colonnes offrent un caractère très suave et doux et se dénotent par un langage « Anejo, Solera » qui n’est pas sans rappeler l’univers des xérès. Les rums En provenance de la Jamaïque, des îles de Grenade, Barbade, Saint Kitts, de Trinidad ou de la région de Demerara en Guyane, ces rhums d’origine britannique ont, pour la plupart, conservé leur mode de distillation traditionnel dans des alambics à repasse en cuivre. Plus lourds et typés, ces rhums sont majoritairement élaborés à partir de mélasse. Parmi les familles les plus évocatrices, on trouve le Navy Rum, distribué quotidiennement aux marins pendant plus de 3 siècles. Les rhums De tous les pays producteurs de rhum, la France est le seul pays à avoir doté ses territoires d’outre-mer d’un cadre légal réglementant la production et les appellations autour du rhum. Les Antilles françaises, Guadeloupe, Martinique et Marie-Galante sont reconnues aussi bien pour leur rhum agricole ou rhum z'habitant élaboré à partir de la fermentation et de la distillation du pur jus de canne à sucre frais que pour leur rhum traditionnel, contrairement à la Réunion qui, en plus de les produire tous deux, fabrique également des rhums Grands Arômes au style britannique évident.
GRANDES CATÉGORIES DE RHUM
Par son absence de cadre légal strict, le vieillissement du rhum et les appellations qui y sont attachées diffèrent d’un producteur à un autre. Un rhum traditionnel peut être aussi bien produit à partir de vesou (jus de canne) ou de mélasse. Cependant, en ce qui concerne les départements français d'outre-mer, le terme « traditionnel », s’applique au rhum ayant un taux d’impureté (TNA) égal ou supérieur à 225 g/HAP. Parmi les rhums traditionnels, on distingue deux grandes catégories de rhum selon leur procédé de fabrication : Les rhums agricoles Obtenu par distillation de jus de canne à sucre frais et produit surtout aux Antilles françaises, le rhum agricole, appelé aussi rhum z'habitant, s’est développé à partir des années 1870, suite à l’effondrement du prix du sucre. Aujourd’hui, d’autres îles ou pays produisent également ce type de rhum. Les rhums de mélasse Elaboré à partir d’un résidu du sucre de canne après concentration du jus par chauffage et éliminations des impuretés) ce rhum peut prendre la dénomination de « rhum industriel » s’il est obtenu par fermentation directe ou de « rhum Grand Arôme » (TNA > 500 g/HAP) si la fermentation se fait en présence de vinasse et s’il est produit dans certaines zones géographiques (Martinique, Jamaïque, Réunion).
AUTRES CATÉGORIES DE RHUM
Les rhums vieux
Pour bénéficier de l’appellation rhum vieux, les rhums des Antilles françaises doivent séjourner 3 ans minimum dans des fûts de chêne.
Les rhums blancs
Qu’ils soient de vesou ou de mélasse, les rhums blancs (plus légers en arômes que les rhums ambrés) constituent une très bonne base pour la confection de cocktails. Beaucoup offrent un degré alcoolique supérieur à 40% et ont pu séjourner dans des cuves en inox ou foudres pendant plusieurs semaines afin d’arrondir leur arômes.
Les rhums ambrés
Ces rhums ont généralement séjourné 18 mois en fûts de chêne, le plus souvent ayant contenu précédemment du bourbon. Mais leur couleur peut aussi être influencée par la présence de caramel. Ces rhums sont à la croisée des chemins entre rhums de cocktails et rhums de dégustation.
Les dark rhums
Entrant directement dans la catégorie des rhums de dégustation, les Dark Rhum sont issus d’un vieillissement de 2 ans et plus en fûts de chêne. Pour les rhums vieillis sur leur lieu de production, les conditions climatiques sont telles que 4 ans en fûts de chêne suffisent pour obtenir un rhum vieux, au profil aromatique complexe.
Les millésimes et affinages
Certains négociants-éleveurs de rhum proposent des mises en bouteille millésimées avec un affinage en fûts d’origine plus ou moins « exotique ». Cette pratique, largement héritée de l’industrie du whisky, ne donne aucune garantie quant à la qualité du rhum, dans la mesure où la notion de millésime n’existe pas. Quant à l’affinage, sa maîtrise relève directement de la compétence du maître de chai.
Les overproofs
Populaires dans les Caraïbes et utilisés pour les cocktails, les rhums « overproof » peuvent titrer 70% d’alcool et constituent une curiosité au sein de la catégorie des rhums. Ils sont souvent plébiscités pour l’élaboration des punchs.
Les spiced rhum ou « rhums arrangés »
Ces rhums résultent de la macération d’épices (gingembre, cannelle, …) et d’aromates dans un rhum blanc, offrant ainsi une kyrielle d’arômes et de saveurs pour tous les goûts.
De tous les spiritueux, le rhum est certainement celui qui offre la plus large palette de possibilités de dégustations. Si les rhums blancs sont souvent plébiscités dans l’élaboration des cocktails, certains offrent cependant une telle richesse aromatique qu’ils se prêtent aisément au jeu de la dégustation. Des rhums très parfumés comme le rhum cubain peuvent très bien s’accorder avec les arômes d’un jus de fruit. Cependant, plus le taux d’impureté est élevé (TNA), plus le rhum est aromatique et donc plus il mérite d’être dégusté pur plutôt qu’en cocktail. Dans cette catégorie, les rhums agricoles blancs méritent que l’on s’y attarde. Certains rhums blancs de Jamaïque, pourtant élaborés à partir de mélasse, mais distillés au sein d’alambics à repasse, sont également remarquables. Les rhums bruns invitent davantage à la dégustation pure dans un verre de type cognac. Pourtant, que ce soit pour le rhum ou pour le whisky, « l’habit n’a jamais fait le moine » et une couleur ambrée n’est pas un gage de qualité. En l’absence de cadre légal, cette catégorie est hélas sujette à beaucoup d’abus, l’étiquette étant rarement d’une grande aide pour faire son choix. Les rhums français sont finalement ceux qui s’en tirent le mieux, grâce à une réglementation stricte.